© Cat Garcia
Eike König a été directeur artistique pour la maison de disques Logic avant d’ouvrir sa propre agence à Francfort en 1994, sous le nom de EIKES GRAFISCHER HORT (« La nursery des graphistes d’Eike »), qu’il considère avant tout comme une aire de jeu créative. Hort s’est rapidement fait un nom dans l’industrie de la musique en créant des pochettes de disques pour de grands labels et des sociétés indépendantes.
Aujourd’hui, son agence basée à Berlin est spécialisée dans la création de langages visuels pour de grandes et petites marques. Disney, Nike et Microsoft figurent parmi ses nombreux clients prestigieux. Hort collabore également avec des institutions culturelles, dont la Fondation Bauhaus Dessau, dont elle a créé la nouvelle identité.
Eike a animé de nombreux ateliers localement et internationalement et enseigne l’art graphique et l’art de l’illustration deux fois par semaine à l’Université des Arts d’Offenbach, en Allemagne.
« Chez Hort, dans les bureaux d’Eike König de Berlin, on trouve autant de vélos que d’ordinateurs. Plus d’une douzaine de vélos sont alignés le long des bibliothèques ou appuyés contre les tables et les bureaux. Au fond se trouve un grand atelier, et chose étrange pour une agence travaillant pour des clients prestigieux, il n’y a aucune salle de conférence. L’atelier est très animé et tous les gens sont affairés à créer des modèles, des collages, à réaliser des ébauches sur papier ou dessiner sur des tablettes. « Cette entreprise vise à donner vie à de nouvelles idées », dit König. Les dessinateurs, le personnel interne, les invités, les étudiants en visite et les clients se côtoient dans une ambiance de camaraderie studieuse. « Ici, on a tous l’esprit d’équipe », ajoute-t-il. « On partage le même idéal, bien que nous ayons tous une forte personnalité. »
La démarche artistique de König est basée sur l’expérimentation. Son approche est plus analogique que numérique : sa relation au dessin est physique. Il est plus inspiré lorsqu’il est plongé dans l’action. « Ma forme de méditation préférée, c’est me rendre dans l’atelier et m’amuser avec de l’encre et du papier », dit-il. « Pour moi, imprimer une affiche à la main équivaut à une séance de yoga. » Chez Hort, les deux tiers des créations sont axées sur le papier, d’une manière ou d’une autre, qu’il soit utilisé comme surface, support, source d’inspiration ou métaphore visuelle.
Les principaux clients de Hort sont des marques internationales cherchant à innover leur stratégie de communication. Ils font confiance à l’approche non conventionnelle utilisée par König pour répondre à leurs attentes et sont prêts à prendre des risques avec lui. Une chose est sûre : les créations de Hort, qu’il s’agisse d’affiches, de vidéos, de livres, de brochures ou d’installations interactives seront inattendues, intelligentes et contemporaines. « Ce que je demande à mes dessinateurs : me surprendre ! », dit König. « C’est ce qui donne envie de travailler tous les matins. J’ai hâte de voir leurs propositions en termes de nouvelles idées. »
Véronique Vienne
Véronique Vienne:
Peut-on encore créer des dessins surprenants avec du papier ?
EK:
Contrairement à l’ordinateur, qui favorise l’isolement, le papier est propice à l’expérimentation, au partage et à la socialisation. Lorsqu’on esquisse des idées ou lorsqu’on crée un modèle ou un prototype sur du papier ou du carton, les gens s’arrêtent pour voir ce qu’on fait. Ils vous donnent des conseils, apportent des commentaires, posent des questions, et les nouvelles idées fusent de tous côtés.
Le travail sur papier nécessite de réaliser de nombreux essais pour obtenir le résultat souhaité, et c’est une bonne chose. Le papier n’est pas facile à contrôler, et c’est ce qui le rend passionnant. Les accidents peuvent être fructueux. Ils font partie du processus de création. Chez Hort, mon équipe et moi discutons beaucoup avant de trouver le papier idéal pour chaque projet. Le choix du papier est aussi important que le choix des caractères ou des couleurs. Inutile de dire que les jeunes ont une relation différente au papier. Pour moi, il fait partie de l’action, pour eux, c’est une décision secondaire. Mais j’invite toute mon équipe à prendre conscience de son importance et à réfléchir aux moyens de l’intégrer non seulement dans le processus de création, mais également dans nos créations finales.
Mais les ordinateurs ne prennent-ils pas le relais à un moment ou un autre du processus ?
L’ordinateur est un outil fabuleux, mais il ne suffit pas de s’assoir, de dessiner, de régler son casque et de manipuler la souris. À certains moments, il faut ramener le monde matériel dans le processus. Ce qui me dérange, avec les ordinateurs, c’est le fait que les possibilités sont illimitées. Le travail n’est pas délimité. Il y manque la sensation physique. Avec le papier, je peux prendre du recul et avoir une vue d’ensemble.
Vos créations ont une dimension tridimensionnelle, même lorsqu’elles sont simplement imprimées. Est-ce intentionnel ?
Je viens de la culture du collage, qui consiste à assembler, relier, encoller et découper différentes textures, dont la plupart sont importées d’anciens cadres de références. Tout ce travail m’inspire de nouvelles idées. Les gens du bureau font la même chose : ils utilisent des collages pour découvrir de nouvelles choses, soit par accident soit par une recherche délibérée. Parfois, j’utilise des collages numériques, en modifiant des fichiers scannés d’images recyclées.
Title - A very bad copy of a famous sculpture
Designer - Eike König
Date published - 2015
Comment avez-vous appris à intégrer le papier à votre travail ?
La première chose que j’ai dû apprendre, en tant que dessinateur, c’est la coordination entre mon cerveau et ma main, et entre ma main et le papier. Très vite, le seul moyen pour moi de visualiser mes pensées, c’était en m’asseyant devant une feuille de papier. J’ai eu de la chance, car j’ai débuté en créant des pochettes pour une maison de disques, des objets qu’on tient dans la main en écoutant de la musique.
Effectivement, je n’avais jamais vu les choses sous cet angle. Le contact tactile avec le papier était lié au plaisir de l’écoute ?
Oui. À l’époque, je pouvais choisir le papier pour l’intérieur et l’extérieur des pochettes. J’appliquais du vernis de manière sélective. Je choisissais la technique d’impression. Je pouvais réaliser des découpes et du gaufrage. Je savais que ma création finirait dans les mains d’une personne. Cette qualité tactile tangible et artisanale était très importante et elle est restée très présente dans mon travail. Mais le papier n’est pas qu’une texture. C’est également une température : la fraîcheur ou la chaleur du papier, au toucher ou à l’œil. Le poids est également important. Pour l’identité visuelle de Jazzanova, le groupe « nu-jazz » de Berlin, nous avons créé un logo à partir d’un collage en 3D et d’un papier spécial en différents grammages. La gamme de couleurs nous a permis de définir le langage de Jazzanova. On a imprimé tout leur matériel collatéral sur le même papier. C’est ce que j’aime.
Le papier ! C’est mon univers.
J’ai vu une affiche sur le mur de votre bureau dont l’inscription est : « I LIKE IT. WHAT IS IT? » (ÇA ME PLAÎT. QU’EST-CE C’EST ?)* Cela fait-il partie de votre philosophie ?
Oui. Cela reflète l’approche ludique de l’atelier. J’anime parfois des ateliers pour enfants. La plupart des dessinateurs réfléchissent trop, alors que les enfants travaillent instantanément, dès qu’ils s’assoient. Ils sont plus spontanés et créent des choses surprenantes. C’est un sujet qu’on évoque souvent avec mon équipe. On aimerait parfois se libérer de son éducation. Beaucoup de nouvelles idées naîtraient si on pouvait directement accéder à notre source créative intérieure, comme les enfants. Hort est axée sur le travail et le jeu, ce dernier étant prioritaire.